Direction de la Coopération Internationale du Gouvernement de Monaco

Bénédicte Schutz

Directeur
Vous avez été une humanitaire de terrain pendant de nombreuses années avant de rejoindre la DCI. Quelle est votre vision de l’aide publique au développement ? Comment celle-ci a-t-elle évolué ?

Mon parcours professionnel m’a effectivement mené tout d’abord sur le terrain, notamment en Afrique puisque j’ai travaillé pour des ONG internationales telles qu’Handicap International et la Fondation d’Auteuil. Avant d’intégrer la Direction de la Coopération Internationale du Gouvernement Princier à sa création en 2007, j’ai connu une étape diplomatique en travaillant pour la Principauté auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie, où j‘étais chargée du suivi des projets financés par Monaco et de divers programmes de coopération de l’Organisation. J’ai notamment lancé le premier dispositif de volontariat international francophone. Le passage vers la Coopération monégasque en 2007, avant d’en prendre la Direction en 2013, a donc été naturel.

Selon moi, nous nous trouvons à un moment où l’action internationale commune est plus nécessaire que jamais au vu des enjeux planétaires de sécurité, de santé et de climat qui impactent nos vies de manière inéluctable. La pandémie de COVID a balayé une décennie de développement, les inégalités se creusent, la faim progresse. En cela, l’Aide Publique au Développement (APD)est un investissement essentiel dans le monde de demain, et non un coût à fonds perdus. Et c’est tout à l’honneur de la Principauté et du Prince Souverain, très engagé, de continuer à augmenter les montants de son APD, plaçant Monaco au premier rang des Etats solidaires au monde par habitant.

La collaboration de l’IECD avec la DCI a commencé en 2013. Pourquoi avoir choisi d’orienter vos actions vers la jeunesse, et particulièrement en Afrique du Nord / en Méditerranée ?

Cela rejoint notre vision de l’APD en tant qu’outil de justice sociale pour corriger les inégalités et en tant que moyen d’investissement dans le monde de demain. Qui mieux que la jeunesse représente le terreau de ce futur ? C’est en premier lieu la jeunesse, et toutes les catégories vulnérables, telles que les femmes, les filles, les enfants, les personnes en situation de handicap, qu’il faut soutenir en priorité, car ce sont elles qui peinent le plus à accéder à leurs droits et à des opportunités, a fortiori lorsque les crises surviennent.

Concernant l’Afrique du Nord et la Méditerranée, notre collaboration avec l’IECD repose sur le constat que le chômage des jeunes est un enjeu commun à tous les pays du bassin méditerranéen, puisqu’il s’élève à 20 jusqu’à 38% selon les pays. Quand on sait que les enfants et les jeunes de moins de 25 ans représentent près de la moitié de la population du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, on se rend compte qu’ils constituent un levier essentiel de transformation pour toute la région. D’où les différents programmes de formation professionnelle mis en œuvre par l’IECD et soutenus par Monaco, que ce soit au Liban, au Maroc ou en Tunisie. Ou bien les écoles et dispositifs de la 2ème chance, et le réseau Méditerranée Nouvelle Chance (MedNC) pour les jeunes NEETS, lui aussi opéré par l’IECD et dont le Gouvernement Princier est un soutien de la première heure. Nous sommes également reconnaissants auprès de l’IECD de porter avec nous le dispositif « Jeunesse en Méditerranée (JMED) » depuis 2020. Celui-ci prépare l’émergence de la nouvelle génération d’ONG méditerranéennes engagées en faveur de la jeunesse.

Pourquoi avoir choisi l’IECD ? Quelle est sa valeur ajoutée selon vous ?

A la Coopération monégasque, nous sommes bien entendu à la recherche de bons projets à soutenir, mais surtout à la recherche des bons partenaires qui les mettront en œuvre pour bâtir une relation de longue durée. En cela, nous avons trouvé en l’IECD un partenaire fiable, de qualité, avec lequel nous travaillons en bonne entente depuis 2011. L’IECD fait d’ailleurs partie des partenaires privilégiés de la Coopération monégasque depuis la signature d’un protocole d’entente en juillet 2022. Nous partageons en effet des valeurs communes et des priorités convergentes dans les domaines de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’entrepreneuriat. L’IECD est également un partenaire très en phase avec notre objectif de localiser davantage notre aide auprès de partenaires locaux. Nous nous réjouissons que l’IECD ait créé des entités de droit local, avec qui nous signons directement des partenariats, comme Semeurs d’Avenir au Liban ou encore l’IECD Maroc. Ces structures constituent d’indispensables acteurs du changement en région MENA. 

Qu’est-ce que cette collaboration vous apporte (au niveau de vos salariés, de votre stratégie, de vos valeurs, de votre expertise, de votre connaissance du secteur, des pays ?)

Je pense -j’espère !- que notre collaboration nous permet de nous enrichir et nous faire évoluer l’un l’autre. L’expertise, ou plutôt les expertises de l’IECD, et sa connaissance du terrain nous permettent par exemple de mettre le doigt sur les besoins réels des populations que nous soutenons et d’y trouver ensemble des solutions, toujours en lien, bien entendu, avec les priorités nationales des pays dans lesquels nous intervenons. Ensemble, nous pouvons ainsi identifier des pistes pour des interventions communes futures. Comme sur la région Afrique du Nord-Méditerranée, où ce n’est pas un hasard si nous collaborons dans quasiment tous nos pays d’intervention, et où de véritables dimension et vision régionales des programmes sont mises en place, avec le soutien aux NEETS et à la jeunesse de façon générale dans le domaine de l’accès à l’emploi.

Avez-vous eu l’opportunité de vous rendre dans les différents pays où sont mis en œuvre les projets soutenus par la direction de la coopération internationale ? Parmi les jeunes accompagnés, certains d’entre eux ont-ils retenu votre attention ?

Je suis tout particulièrement attachée au projet « La Rizière », porté par l’IECD à Madagascar, qui a permis la construction d’un centre de formation professionnelle aux métiers de l’hôtellerie et de la restauration à Fianarantsoa, en partenariat avec le Collège Saint François-Xavier (SFX). La Rizière comprend un centre de formation professionnelle qui propose plusieurs filières porteuses et un hôtel-restaurant d’application qui offre non seulement une expérience pratique en hôtellerie pour les étudiants -tout en générant des revenus pour soutenir les activités du centre de formation-, mais également un cadre idéal et très professionnel pour les locaux et les touristes. A chacune de mes missions, je prends un grand plaisir à loger à la Rizière, ce qui me permet de pouvoir échanger avec les jeunes apprenants.

Depuis cette année, la DCI soutient également l’initiative « Pro Pulse » de l’IECD qui permet aux jeunes formés en région de pouvoir effectuer un stage et de s’installer dans la capitale. J’ai ainsi récemment pu échanger avec des anciens de la Rizière à présent en emploi dans de grandes structures hôtelières à Tana.

À l’heure où l’aide publique au développement est remise en question en France comme dans de nombreux autres pays, comment voyez-vous l’avenir pour le développement international ?

Avant tout, je veux redire que je me réjouis que la Principauté n’ait pas suivi la tendance mondiale actuelle et coupé son Aide Publique au Développement. Bien au contraire. Outre la taille de notre pays et de ses financements, cela vient sans doute du fait que Monaco ne fait pas de sa solidarité à l’international un instrument de soft power politique, et n’y voit qu’une façon d’assumer sa place au sein du concert des nations en faisant sa part, tel le colibri, et notre devoir de nous mettre au service des plus démunis.

Bien sûr, je ne peux que déplorer les coupes franches opérées, d’autant qu’elles ont été brutales et touchent non seulement les personnes bénéficiaires des projets, mais aussi les personnels des ONG qui les mettent en œuvre, qu’elles soient internationales ou locales, plongeant à leur tour des milliers de personnes dans le désarroi. Mais je veux rester positive et me dire que c’est peut-être un mal pour un bien, et que cela permettra d’opérer un changement -certes radical- dans le développement international et la façon dont il est envisagé actuellement.

Le mot de la fin ?

Je le laisserai à Albert Camus : « La pauvreté des gens jette un interdit sur la beauté du monde. »